Je quitte Talca, en me demandant encore comment j'ai pu avoir la mauvaise idée de m'y arrêter, mais aussi en me disant que les (petites) erreurs font partie du voyage, et que celle-là a débouché sur une heureuse expérience chilienne à travers l'excellente hospitalité de Patricio. Et aussi ça évite d'avoir un voyage trop focalisé sur les beaux sites à voir.
Je sais maintenant que les choses sérieuses commencent, que je vais découvrir quelques-unes des plus belles régions que le Chili a à offrir. Au nord je connais bien San Pedro de Atacama (je pourrais y être guide !) et j'ai parcouru l'extrême sud en 2009, avec Torres del Paine et Punta Arenas. Je fonce maintenant vers le sud moins extrême, la partie nord de la Patagonie chilienne et quelques idées derrière la tête.
Arrivé à Pucon en début de soirée, après quelques longues heures de bus passées à côté d'une chilienne un peu simplette et très excitée par ce qui devait être son premier voyage en bus, je marche 10 minutes sous un ciel chargé et une petite pluie jusqu'à l'hostal choisi. Je ne suis pas déçu par la recommandation du Lonely Planet, c'est un lieu charmant, chargé de buena onda, qui donne envie de pantoufler toute la journée.
Pucon (prononcer pouconn) est une petite ville mais une capitale, la capitale des sports d'extérieur : marche, escalade, VTT, rafting, canopy, skydive... Il faut dire que sa situation est parfaite : devant, le grand et splendide lac de Villarica ; derrière, le volcan actif Villarica, cône parfaitement formé et enneigé qui crache des gaz toxiques en permanence ; tout autour, d'autres volcans somptueux actifs ou éteints, des montagnes vertes, des forêts natives et millénaires, des rivières avec leurs rapides et leurs cascades, des Parcs Nationaux plus nombreux que les villes elles-mêmes, des sources d'eau chaude alignées le long des routes à ne plus savoir choisir, des rapaces qui planent... La ville de Pucon n'a pas d'attrait en elle-même, tellement elle est concentrée sur le tourisme et sans charme, mais la vue permanente sur le volcan imposant qui fume, et les multiples bonheurs aux abords immédiats, donnent toutes les raisons d'y rester.
Je passe mon premier jour à visiter tranquillement la ville, dont le seul lieu réellement agréable est sa plage de petits cailloux volcaniques au bord du lac. Le centre se résume à une rue centrale sans charme et pleine de commerces, restaurants et agences de tourisme. Comme dans toute station touristique très développée en zone montagneuse, les magasins North Face, Columbia, Patagonia et autres s'alignent pour vendre très cher des articles moyens. Les autres rues sont paisibles et pas désagréables, mais n'appellent pas vraiment à la balade.
Je profite de ce tour pour me renseigner sur toutes les possibilités d'activités et d'excursions, et le must qui s'impose immédiatement, c'est la montée au sommet du volcan actif et enneigé Villarica. La condition c'est qu'il fasse beau, et c'est justement prévu pour demain. On me fait comprendre qu'il faut saisir cette chance et ne pas attendre. Un peu à regret de ne pas pouvoir buller un jour de plus, je m'inscris pour le lendemain et me retrouve à 6h45 du matin devant l'agence, le sac rempli par les crampons, le piolet, le casque, les vêtements spéciaux anti-froid ... et le masque à gaz.
Le beau temps est bien là, on file donc en minibus au pied du volcan et on démarre l'ascension dans la neige, sans corde puisque ce n'est pas un vrai glacier, mais en file indienne. Et toutes les agences ont évidemment profité du beau temps, nous ne sommes donc pas seuls. Nous sommes probablement une centaine à monter ! La montée n'est ni totalement facile, à cause de la neige et des crampons, et surtout du vent puissant qui coupe presque la respiration ; ni difficile en comparaison avec une vraie ascension sur glacier de haute montagne. D'ailleurs le volcan ne culmine qu'à 2840 mètres, il est enneigé quasiment depuis sa base à 1500 mètres. Assez étonnant pour moi qui ai quitté récemment les très hautes montagnes de l'altiplano, où l'on pouvait monter facilement à 6000 mètres sans trouver un flocon. Au bout de 4h30 de montée nous arrivons au sommet, au bord du cratère qui fume généreusement et crache ses gaz toxiques. A cause de ces gaz, difficile de voir au fond et même de s'approcher du bord, chaque seconde passée à respirer les gaz provoque une brûlure instantanée et insupportable de la gorge. Pour prendre sa photo il faut donc s'éloigner prendre une grande inspiration d'air frais, courir vers le bord en bloquant sa respiration, faire la mise au point et prendre la photo en 2 secondes, et revenir en courant pour respirer de l'air frais ... le tout avec des crampons aux pieds, engoncé comme un bibendum dans sa combinaison spéciale haute-montagne, et gêné par le vent puissant. Pas tellement tellement facile.
De là-haut on a aussi une vue magique sur la région, les autres volcans alentour, les lacs Villarica et Caburgua. D'ailleurs on ne peut rien faire d'autre qu'admirer puisqu'il est impossible de parler avec ce vent, on arrive juste à crier à un autre qu'il nous prenne en photo.
Je dis toujours qu'en montagne je préfère la montée à la descente, mais celle-ci fut peut-être la meilleure que je n'aurai jamais : comme la neige qui recouvre le volcan n'est pas un vrai glacier, qu'il n'y a aucune crevasse, un des innombrables guides qui dédie sa vie à monter le volcan tous les jours (et à prendre la photo de des clients au bord du cratère) a eu la bonne idée de faire la descente en luge. Une simple pelle en plastique, et un harnais en forme de couche pour éviter de faire des étincelles avec son potito*. Et ça, tout le monde adore, surtout sur une pente qui est bien inclinée. La descente est donc envoyée en moins de 30 minutes, sensations incluses.
L'air de rien on finit quand même la journée un peu crevé, et j'ai besoin de la journée suivante pour retrouver l'énergie de visiter la zone. L'hostal invite vraiment à la paresse, et le temps aussi, nous sommes fin novembre, l'approche de l'été ne se fait pas encore sentir et un jour sur deux est pluvieux. Je sympathise avec l'administrateur, très ouvert à ses clients et qui parle bien le français.
Le lendemain je me motive pour brûler des calories en louant un vélo, définitivement mon moyen préféré de découvrir chaque étape de voyage. Après 25 kilomètres de plats face au vent et sous la pluie fine, de montées et descentes successives, j'arrive dans un tout petit patelin au bord du lac Caburgua. Du même style que le lac Villarica, cerné de montagnes vertes et plantées de sapins, avec une plage de sable volcanique ... et une envie de se poser là, à admirer en silence.
Sur le retour je m'engage sur un chemin de terre vers les Ojos de Caburgua, un ensemble de cascades qui se font face dans un décor luxuriant. Par chance il n'y a pas grand monde. Je reprends le chemin de terre en direction de Pucon, à travers la forêt, des champs, le long de la rivière Trancura, avec le lac Villarica et Pucon visibles au loin, le volcan omniprésent sur ma gauche. Une carte postale dont on ne se lasse pas, une balade qui résume la région à elle seule. Avant d'arriver à Pucon je fais un détour par Quelhue, une communauté Mapuche qui continue de vivre simplement et dans ses traditions, en ignorant superbement l'hyper-tourisme de Pucon. Quelhue est blottie au pied des montagnes rocheuses et vertes, les cochons et leurs petits se baladent en quasi-liberté, les Mapuche me saluent aimablement (ça change des communautés andines un peu fermées au nord). C'est bon un peu d'authenticité !
Le jour suivant est encore paresseux. Il se limite à chercher un bon angle pour photographier le volcan Villarica, qui un jour sur deux est invisible, et qu'on ne peut pas quitter des yeux le lendemain tellement il est proche et majestueux. Bien que je sois en mode solitaire, peu pressé de faire des nouveaux amis, je fais la connaissance d'Ariane, une française qui voyage un peu au Chili avant de s'installer en Argentine. Décision comparable à la mienne, ras-le-bol de la routine française. Nous avons tous les deux prévu de visiter l'île de Chiloé, et comme il semblerait qu'une voiture est très recommandée pour bien l'explorer, l'idée se fait d'en louer une ensemble. Les petits coups de chance du voyage, la bonne personne au bon moment sans avoir fait d'efforts ...
Mais pour l'instant c'est surtout mes discussions avec Hernan, l'administrateur de l'hostal, qui retiennent mon attention. Je lui ai déjà dit que je me verrais bien travailler à Pucon pendant la saison haute qui doit bientôt commencer, et ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Une première expérience de réceptionniste, pour découvrir l'envers du décor d'un hostal et me forger une première expérience en vue d'un futur-éventuel-peut-être-sait-on-jamais projet d'en monter un moi-même. Il ne m'a pas encore fait de proposition concrète mais cela ne saurait tarder. L'indécis éternel que je suis se demande quand même si je ne devrais pas voir les autres villes sur mon parcours avant de me fixer. D'autant que Pucon ne me promet pas une vie excitante hors du boulot, c'est le moins que l'on puisse dire.
Du jour au lendemain je décide donc de partir à Valdivia, la ville étudiante toute proche si réputée pour sa qualité de vie, où Elias a un bon contact pour moi. Je compte l'explorer très vite et voir si elle m'inspire, et je donne RDV à Ariane sur l'île de Chiloé trois jours plus tard. Pour le contact d'Elias, cela semble tomber à l'eau, son ami ne répond pas à mes tentatives de le contacter. Je me contente donc de sentir l'air de la ville, notamment son activité culturelle qui manque tant dans les autres villes. Et son délicieux marché de pêcheurs le matin le long de la rivière, avec les énormes lions de mer qui disputent aux oiseaux les restes de poisson, juste derrière les étals.
Il y a clairement plus à faire pour se divertir, mais curieusement je ne la sens pas plus que ça. Si ce n'est l'hostal où je loge, un modèle à mes yeux mais qui n'a pas de job à me proposer. Pendant ce temps je poursuis mes contacts par mail avec Hernan, qui me fait une proposition concrète. Je décide d'en terminer avec cette indécision chronique, ce réflexe de toujours aller voir plus loin s'il n'y aurait pas un petit peu mieux, et accepte le job de 4 mois, en pesant surtout tous les avantages.
Ça y est je suis décidé à démarrer une nouvelle expérience de vie et de travail loin de la France, dans cette Amérique du Sud où je commence à me sentir chez moi. Et décidé à arrêter temporairement ce voyage du mois de novembre qui n'était pas suffisamment exaltant. J'ai l'esprit libéré et je peux sereinement partir explorer l'île de Chiloé, avant un retour imminent à Pucon qui est officiellement mon nouveau chez-moi ... pour quatre mois pas plus, faudrait pas s'imaginer que je suis devenu sédentaire, non mais !
Les photos de Pucon sont ICI
Les photos de Valdivia sont ICI
*popotin en español
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