jeudi 26 mai 2011

Presque chez moi

Déjà 4 mois ou presque que je vis à Salta. Bon sang que le temps fuse, et il fuse d’autant plus que je n’ai jamais senti la vie si divertissante qu’ici. Sauf pendant le tour du monde bien sûr (dont je vais bientôt fêter le premier « anniversaire de sa fin »).
Divertissante sans doute par l’effet de la nouveauté (c’était le but !), par l’effet de la nécessité stimulante de tout découvrir et apprendre, et par l’effet d’un retour en arrière d’au moins 10 sinon 15 ans dans mon style de vie (des sorties et encore des sorties jusqu’à pas d’heure… avec des amis qui ont 10 ans de moins).
Divertissante en toute logique puisqu’elle me permet d’échapper à une vie normale » et plus monotone. Puisqu’elle répond à mon envie « d’être ailleurs », expression qui paraît ne pas avoir de sens, et pourtant en est chargée.
Bref 4 mois très intenses, qui me rappellent mon arrivée comme d’un temps très lointain. 4 mois qui me donnent déjà des habitudes et des repères, une petite impression d’être chez moi tout en me sentant encore étranger : j’ai encore tout à apprendre de ce pays et de sa culture, et surtout à améliorer mon espagnol (10 fois meilleur qu’en janvier mais encore 100 fois moins bon que ce qu’il faudrait).

Cette ville où je commence à avoir mes repères, c’est donc Salta. C’est la principale ville du nord-ouest du pays. Elle est appelée “Salta la linda”, Salta la belle. C’est vrai qu’elle a un  réel charme, par son architecture hispanique et coloniale, ses belles places bordées d´anciens bâtiments et notamment la place centrale 9 de Julio, son rythme de vie tranquille, les monts qui l’entourent … Mais soyons honnêtes, on n’en tombe pas raide dingue non plus.
La ville s’étend toujours plus, avec maintenant 500 000 habitants et des distances énormes entre l’extrême nord et le sud. Quand une petite annonce immobilière présente un logement comme étant dans le macro-centre, il peut se trouver à 20-30 minutes à pied du réel centre. Il vaut mieux perdre ses habitudes de marcheur urbain, et se laisser tenter par les bus ou les taxis vraiment pas chers.
Toutes les rues sont en angle droit, on ne peut pas se perdre. On peut aller de n’importe quel endroit à un autre en ne tournant qu’une seule fois, c’est mathématique. Alors souvent on casse cette monotonie en variant les itinéraires, en tournant plus ou moins tôt à gauche à droite.
De 13 à 17h la ville est endormie, les magasins fermés, la sieste est sacrée à l'heure où le soleil frappe fort. J'en profite pour rattraper un peu de sommeil des nuits trop courtes, mais pas facile de repartir au boulot à 17h après 1h30 à 2h de sieste, je suis un peu dans le cake.
Sorti du boulot à 21h, on ne se rend pas compte qu'il est si tard puisque la ville grouille d'activité, et notamment la belle place centrale 9 de Julio toujours noire de monde. D’ailleurs 21h c'est à peine le début de soirée, et sûrement pas une heure pour aller au resto et encore moins sortir. Ici on sort au plus tôt à minuit voire plus tard. A l'espagnole ...
Il faut s'y faire, on va dire que le point noir pour l'instant, c'est mon manque de sommeil. Et ce ne sont pas les délicieuses empanadas (petits chaussons farcis de viande ou fromage, grande spécialité sud-américaine) qui suffisent à me redonner la force. Il va falloir y remédier mais j'ai comme l'intuition que ce n'est pas gagné ...

Au tout début, l’insertion dans la vie argentine n’a pas été aussi facile que je l’avais imaginée. Notamment parce que je m’exprimais horriblement mal, mais surtout parce que je ne comprenais pas grand-chose : l’accent argentin est particulier et fort, avec des différences grammaticales importantes avec l’espagnol d’Espagne. Curieusement, dans la Bolivie voisine et infiniment pauvre, l’expression est plus lente et limpide. Les différences d’accent marchent souvent dans l’autre sens … la richesse ayant pour effet de lisser les accents. L’Argentine n’est pas riche, mais à côté de la Bolivie …
Sans renier ma totale responsabilité dans mon pauvre niveau en espagnol, j’ai regretté qu’une ultra-minorité de personnes fasse l’effort de me parler lentement et simplement, effort qui permettrait la conversation et ma progression. Et puis mon oreille a commencé à se faire et à saisir les nombreuses consonnes « avalées », dépassant le seuil critique et invisible de compréhension. Maintenant je ne fais plus répéter chaque phrase … seulement une sur deux !


Une des premières sensations étranges dans ma nouvelle vie sédentaire a été de croiser des voyageurs en ville, et surtout des jeunes mochileros (routards, backpackers …). Forcément je m’identifie encore à eux, le tour du monde n’est pas si loin et l’envie de battre la route toujours forte. Je les croise surtout sur la belle place centrale en allant au boulot, et si je n’étais pas déjà en retard j’irai bien les voir et leur poser les questions habituelles : « Tu es d’où, tu voyages combien de temps » (questions dont je me lassais en 2010 mais ô combien pratiques) et proposer d’aller visiter ensemble. A défaut d’avoir le temps de leur parler, ils me donnent l’envie de faire mon sac. Sensation bizarre de se sentir proche d’eux mais « de l’autre côté », du côté de ceux qui se sont posés dans un lieu traversé en voyage.
De l’autre côté, pour longtemps ?
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