jeudi 19 avril 2012

Un bout de vie spécial à Pucon

Après 40 jours de voyage au Chili, j'ai décidé de m'arrêter à Pucon, dans la fabuleuse région des Lacs, pour tenter une nouvelle expérience : travailler à la réception d'un hostal. J'ai choisi l'hosteria écologique ¡école! à la fois pour sa réputation, pour l'avoir apprécié moi-même comme client, pour le bon contact que j'ai eu immédiatement avec le directeur Hernan, et pour la facilité avec laquelle j'ai été pris (sans papiers !!!). Hernan m'a proposé 3 jours hebdomadaires à la réception, et en demandant à travailler plus je me suis retrouvé avec 2 jours hebdomadaires comme serveur au restaurant végétarien très réputé. Si l'on m'avait dit peu de temps avant que je me retrouverai serveur, j'aurais bien rigolé.

En théorie c'est le plan parfait, puisque j'ai trouvé le job de courte durée que je cherchais, dans un lieu très réputé dans cette ville et très recommandé par le Lonely Planet. C'est après que ça se complique...
Je suis hébergé et nourri dans l'hosteria, ce qui me facilite bien la vie même si ma chambre est froide, humide, sombre, et située en dessous d'un dortoir au plancher qui grince pour jeunes routards.

Le contact avec mes nouveaux collègues est excellent, ils me reconnaissent tous parce que j'ai passé une semaine comme client il y a 10 jours. Il n'y a quasiment que des femmes, surtout côté restaurant, et elles me chouchoutent comme le petit franchute qui vient leur apporter un peu de changement avec son accent, et qui accessoirement traîne 3 fois par jour dans la cuisine pour voir les plats qui restent.




La première difficulté est de hisser immédiatement mon espagnol à un meilleur niveau, même s'il devient plus que correct. Surtout je dois tenter de comprendre l'accent et le vocabulaire chilien, qui est particulièrement difficile et mauvais. On ne me reprochera pas d'être méchant ou de chercher des excuses, ils disent eux-mêmes qu'ils parlent très mal.

La surprise teintée de déception vient dès les premiers jours : les clients ont beau tomber sous le charme de l'hosteria, pour son style et la onda authentique qu'il dégage, l'envers des coulisses est très différent : j'ai rarement vu une entreprise aussi peu organisée, dans laquelle il faut dégager une énergie impressionante pour arriver à un résultat qui satisfasse les clients (encore qu'il ne faut pas trop regarder dans les détails). C'est particulièrement vrai côté cuisine : toute petite, désordonnée, sale et en champ de bataille dès que l'activité s'agite. Le restaurant école! propose une cuisine végétarienne délicieuse, originale, fraîche, et deux fois moins chère que les restaurants de Pucon qui servent du congelé. Et les serveurs doivent quasiment tout faire et compenser l'absence de matériel correct pour servir dans les temps.




Très rapidement je dois apprendre à passer du français à l'espagnol et à l'anglais en un éclair, ce qui est plutôt pour m'amuser et me stimuler. Et je trouve un vrai plaisir à renseigner les clients sur les activités alentour, les randonnées dans les Parcs Nationaux, les sources thermales, et toutes les excursions proposées par les agences. J'ai beau répéter le même conseil dix fois par jour, je ne m'en lasse pas et je trouve un début de confirmation que je peux être fait pour ce métier, pour travailler dans un hostal pour jeunes routards, où il y a un contact proche et informel avec les clients. Lesquels clients, les jeunes mochileros (routards), ne se plaignent jamais du confort sommaire.

Ici à ¡école! il y a un mélange assez inédit et presque ambigu entre les routards qui dorment en dortoir et les couples plus mûrs et plus aisés qui prennent une belle chambre. Ces derniers sont plus sujets à réclamer dès qu'un détail cloche. Même lorsque les réclamations sont plus que justifiées, je me rends compte de la disponibilité sans limites qu'il faut dans ce domaine, de l'énergie infinie qu'il faut dépenser pour toujours satisfaire le client. Je le savais, mais je savais aussi qu'il fallait le vivre pour vraiment le savoir !




Au fil des semaines je suis de plus en plus à l'aise puis totalement autonome, malgré mon handicap de la langue (recevoir une réservation ou des questions diverses par téléphone est un stress à chaque fois). Mais au bout d'un mois nous arrivons en saison haute puis en saison très haute, où l'activité est au maximum, Pucon remplie de chiliens friqués en vacances. Il m'arrive de faire un service de 8 heures à la réception sans une minute pour moi, entre les paiements des clients du restaurant, les réservations qui arrivent par mail ou par téléphone, les clients potentiels qui veulent voir les chambres, les check-in et out ... En février Pucon est un enfer, il y a même des embouteillages en centre-ville.

Pendant mes heures libres, les jours où je travaille, les loisirs sont plus que réduits puisque Pucon est une ville 100% dédiée au tourisme et sans beauté ni âme. Aucun divertissement culturel. Je me retrouve donc régulièrement assis face au lac, dans sa partie la plus tranquille, pour lire un bouquin. Pas de ciné, pas de concert, pas de théâtre. Heureusement parmi mes rares collègues masculins il y a Emil, venu de Santiago pour la saison. Avec lui je peux aller boire une bière de temps en temps, même si les horaires nocturnes de école me restreignent largement (je n'ai même pas la clé) et que tous les bars de Pucon dégagent une ambiance 100% commerciale pas très engageante. Pas un bon pub où passer un vrai bon moment et socialiser un peu.
Alors pourquoi Pucon a tant de succès touristique ? La ville a quand même 3 atouts de taille : la présence écrasante du volcan Villarica, au cône parfait et enneigé qui crache du gaz ; le lac ; les alentours sublimes.




Donc mes deux jours de congé hebdomadaires sont, à l'inverse, parfaitement jouissifs. Rando dans les Parcs Nationaux, rafting, hydrospeed, kayak, sources thermales, VTT, plage de sable blanc sur un autre lac sublime... Les relations entre école! et les agences me permettent de profiter gratuitement de toutes les activités sportives chères, au grand étonnement de mes collègues d'école! qui n'avaient jamais eu l'idée ou l'audace d'aller voir ces agences. Je négocie aussi quelques week-ends prolongés pour me balader à Valdivia, à San Martin de los Andes en Argentine (renouvellement de mon visa de travailleur illégal oblige), et à Puerto Varas à nouveau pour randonner dans la vallée magique de Cochamo. On peut dire que j'ai écumé la région, seuls quelques treks trop longs ou trop éloignés de Pucon m'auront échappé.

Finalement la saison très haute passe, épuisant tout le personnel dont moi. Je suis aussi usé par le manque d'organisation, qui ne colle vraiment pas avec ma façon de travailler, et par un aspect négatif du Chili que j'ai découvert : c'est une société très conservatrice aux inégalités plus flagrantes qu'ailleurs, l'héritage de la dictature Pinochet pesant encore très lourd le système. Concrètement j'ai vu le salaire de misère que touchaient mes collègues (et moi aussi mais c'est moins un problème), alors qu'un certain nombre de chiliens friqués venaient profiter des prix ridiculement bas du restaurant, tous les jours. Augmenter les prix, et les fixer à un niveau normal au vu de la qualité et de la réputation, aurait permis de payer plus décemment le personnel qui accomplissait des miracles tous les jours en l'absence totale de gestion et d'organisation. Les employés des autres restaurants dépensaient probablement deux fois moins d'énergie pour un niveau d'activité comparable ! Mais non, on préférait faire des cadeaux aux clients friqués qui n'en avaient pas besoin. Certains d'entre eux se montrant arrogants par ailleurs. Quand ce n'étaient pas certains associés eux-mêmes ...

Je finissais par être gêné de raconter toutes mes vadrouilles à mes collègues, elles qui n'étaient jamais allé très loin de Pucon. Mais pas de jalousie de leur part, elles se doutaient bien que j'avais plus de chance qu'elle du côté financier, et que je n'avais pas vraiment besoin de ce travail.

Usé par la saison haute, l'absence d'organisation, et ce cruel écart entre les clients et les employés, je finis par demander à terminer avant fin mars comme il était prévu, et je gagne ainsi 3 petites semaines qui me permettront de voyager en Patagonie avant que l'automne ne modifie le climat trop sévèrement. Les dernières semaines de travail sont longues, mes derniers tours comme serveur encore plus. Je suis aussi pressé de partir de Pucon, ville qui décidément n'offre aucun plaisir. Une fois les vacances chiliennes terminées, tout le monde est soulagé et peut respirer. A peine 2 semaines plus tard, Pucon est déjà une ville morte le soir.

Histoire de ne pas partir trop déçu par ce travail, j'obtiens une petite victoire en réorganisant l'informatique à la réception, ce qui se traduit immédiatement par un  travail plus facile et plus rapide. Pourquoi je n'y ai pas pensé 3 mois plus tôt ?!
Toujours dans les bonnes surprises trop tardives, je découvre qu'une collègue est beaucoup plus sympathique que je ne le pensais, et passe 2 soirées agréables hors d'école avec elle et ses amis.

Finalement vient l'heure du départ, à la fois un grand soulagement et un moment d'émotion pour dire adieu à toutes mes collègues qui m'ont tant chouchouté. Cela restera comme une expérience de vie et de travail insolite, que je n'oublierai pas. J'ai aussi été séduit par la beauté du sud chilien, qui reste un possible futur point de chute à moyen terme.
Je refais mon sac, libère ma chambre qui ne me manquera pas, et file vers le terminal, en lançant un dernier regard vers le volcan. Le plan : retourner en Patagonie argentine, puis remonter ves le nord et voyager encore 2 bons mois avant ... le retour à la maison. Il est temps, les mois défilent et la fatigue s'accumule !



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