vendredi 9 décembre 2011

Chiloé, l'autre Chili

[Pre-Scriptum : ce post est volontairement daté au 09 décembre 2011. A l'heure où je le publie, le 11 mars 2012, ma petite "aventure" à Pucon vient de se terminer et j'ai repris la route, sac sur le dos. Il n'est jamais trop tard ...]

Je quitte Valdivia bien que je n'en aie pas vu grand chose, et je suis dans le bus vers l'île de Chiloé. En route on passe près de Puerto Varas et je vois deux sublimes volcans se dresser au loin, dominant tout le reste. Une heure plus tard le bus monte sur un transbordeur qui me rappelle ceux du sud lointain, les traversées qui rythmaient le long voyage vers Ushuaïa en 2009. L'étape à venir s'annonce savoureuse, Chiloé est réputée pour sa beauté mais surtout pour être restée authentique et traditionnelle, dans ce Chili qui se développe très vite et a perdu de sa saveur sud-américaine. J'arrive à Ancud, pose mon sac dans une petit auberge familiale qui a bonne réputation sur le net. J'ai le temps de flâner au bord de mer, devant les bateaux colorés des pêcheurs, en attendant qu'Ariane arrive. J'avais rencontré Ariane à Pucon et nous nous étions mis d'accord pour louer une voiture ensemble à Chiloé, puisqu'il semblerait que ce soit vraiment un plus pour bien explorer l'île.

Je goûte à l'accueil incroyable de Mirta et Pedro, le couple âgé qui tient cette auberge, et finalement Ariane arrive. Elle n'a qu'une idée en tête, tout comme moi, se faire un bon resto de poisson sur le port. Une ambiance comme je les aime, face au coucher de soleil sur le petit port de pêche. La mer m'a manqué à Salta mais je me rattrape bien au Chili. Le lendemain le petit-déjeuner nous donne déjà l'occasion de trouver l'hospitalité de Mirta un peu pesante et invasive. Direction le loueur de voiture pour s'emparer  de notre objet de liberté. Le voyage en mode backpacker, avec un petit budget, donne beaucoup de réjouissances, mais pas toujours la possibilité de bien explorer les zones traversées. Alors à chaque fois que j'ai l'occasion de louer une voiture avec quelqu'un, c'est un vrai bonheur.

A peine assis dedans nous sortons d'Ancud sans même avoir regardé la carte ni avoir discuté de l'itinéraire du jour. J'ai une petite idée, mais vraiment petite alors, rien de vraiment pensé. Nous nous engageons dans les lacets le long de la mer, et toute la beauté s'offre à nous, le mariage parfait entre les collines vertes et le bleu de la mer. Le soleil est là aussi, pourvu que ça dure parce que Chiloé est réputée pour recevoir la pluie toute l'année. Premier arrêt au bout de 15 minutes à peine dans un tout petit bled au bord de l'eau, quelques rafiots pourris et filets de pêche, l'odeur forte de poisson. J'adore, je revis ! Sur les conseils d'un brave homme assis oisivement devant un arrêt de bus, peut-être en train de se remettre d'une ultime bouteille de rouge, nous allons jusqu'à un petit musée préhistorique tenu par une brave dame, en fait une simple pièce où elle accumule les squelettes marins et différentes petites pièces. Nous remarquons surtout son petit écriteau qui propose des huîtres fraiches, et deux minutes plus tard nous sommes attablés dans son salon pour les goûter. Pour retourner vers le restaurant rustique dans le petit hameau et enchaîner avec un saumon. Ça c'est la vraie vie ! L'après-midi nous donne un avant-goût de ce que sera toute la semaine : de longues heures de conduite sur des routes de terre, la voiture qui tremble, la découverte de petites maisons en bois coupées du monde, et la découverte enfin d'un panorama splendide, au bout d'une péninsule ou sur une pointe de terre qui s'avance dans la mer. Il faut le mériter, il faut de la patience, mais le spectacle au bout de chaque chemin est à couper le souffle, par sa beauté parfaite et son harmonie parfaite des formes et des couleurs, le vert et le bleu toujours. Et au fond les volcans Osorno et Pucalco qui se dressent fièrement.





Après avoir exploré la péninsule Lacuy, nous découvrons Playa Brava, une plage immense en forme d'arc de cercle, agressée par les vagues de l'océan Pacifique dans un vent incessant. Il faut une bonne heure pour contourner la plage par un chemin de terre sinueux, et découvrir la vue de l'autre côté, encore plus saisissante. Nous arrivons à Puñihuil, point de départ d'un petit tour en bateau pour aller voir des pingouins. A vrai dire les pingouins ne nous intéressent pas, mais sans nous y attendre nous découvrons une plage de rêve, avec de grands rochers qui baignent dans l'eau et la nécessité de rouler sur la plage puisque le relief ne laisse pas de place pour un chemin. Quelques gaillards endurcis en ciré revenant de la pêche, des bicoques précaires, des barques de toutes les couleurs, et un petit café légèrement en hauteur où nous filons nous réchauffer. Nous sommes d'autant plus heureux d'être ici que le fichu Lonely Planet n'en parlait que comme le point de départ du tour vers les pingouins, sans rien dire de la beauté de l'endroit. Quelquefois on se demande s'ils sont vraiment venus voir par eux-mêmes ...




Retour par deux longues heures de route vers Ancud, je file me coucher parce que je sens une bonne vieille crève se déclarer, mais Ariane subit le bavardage incessant de Mirta une partie de la soirée, et ses demandes répétées pour que nous laissions un commentaire positif sur le site TripAdvisor. Je commence à comprendre comment elle a autant de bons commentaires, elle force chacun de ses clients à le faire sous ses yeux, avec l'insistance de son faux sourire. Le lendemain matin, mon état grippal me donne une bonne excuse pour échapper à cette corvée, et nous mettons les voiles vers la côte nord-est. Les paysages ne changent pas vraiment mais ne lassent jamais, chaque long chemin de terre nous amène face à une crique où à une plage, un tableau parfait qui mélange la nature harmonieuse et la présence humaine dans un mode traditionnel. Ici sur la plage de Caulin, c'est apparemment la collecte des algues qui occupe tous les pêcheurs, en fagots énormes qui paraissent pourrir au soleil.




Après un passage par la petite ville d'Achao et sa belle petite place, dominée par une des innombrables églises en bois qui font la réputation de Chiloé, nous reprenons enfin l'asphalte, direction le centre de l'île. En route on distingue au loin, sur notre gauche, les volcans enneigés qui se trouvent sur le continent. Bien qu'ils soient très loin on ne voit qu'eux, et cela ajoute un arrière-plan irréel à cette île qui n'a rien de volcanique. Nous nous arrêtons dans la ville portuaire de Dalcahue qui a aussi une église pittoresque en bois, mais surtout un transbordeur pour aller vers l'île Quinchao. Chiloé est déjà une île, assez isolée du reste du Chili, mais elle a elle même des petites îles satellites. C'est dire si l'isolement est maximal, l'ambiance insulaire parfaite, et l'éloignement de toute modernité garantit la plus pure authenticité. Une fois débarqués sur Quinchao, nous avalons les kilomètres sur l'unique route qui la traverse dans toute sa longueur. Arrêt sur la place pittoresque de Curaco de Velez, baignée par le soleil et une sérénité parfaite. Second arrêt au mirador qui domine la ville de Chacao : une beauté à rester là pendant des heures, muet devant un paysage si parfait. Le petit port de Chacao, la mer d'un bleu intense, une autre petite île satellite, et au fond la Cordillère des Andes avec ses sommets et volcans enneigés. Vert, bleu, blanc, soleil. J'ai beau voyager beaucoup, multiplier les étapes dans des lieux plus beaux les uns que les autres, rehausser toujours un peu plus mes exigences (il faut bien le reconnaître), là c'est du jamais vu.




Après avoir raccroché la mâchoire, nous traversons Chacao et poursuivons la route jusqu'au bout de l'île, pour ne pas perdre une miette de sa beauté et chercher un angle de vue parfait vers un volcan à la forme tordue qui nous intrique et nous fascine. Retour à Chacao, notre objectif pour dormir ce soir. Nous trouvons à nous loger chez une petite famille qui vient de s'installer là et retape les chambres. Chacao est délicieusement tranquille et coquette, esthétisme délicieusement pimenté par ses quelques pêcheurs au visage ravagé qui dorment ivres morts sur une charrette. Encore une nuit au paradis, après une petite balade au coucher de soleil sur la digue, et un dîner roboratif dans un resto rustique rempli des locaux qui regardent un match de foot de l'équipe chilienne. Immersion locale maximale.

Le lendemain, ce n'est pas l'envie qui manque de s'attarder plus longtemps pour humer l'air et s'imprégner de l'ambiance. Nous essayons de trouver une embarcation pour la petite  île qui nous tend les bras en face. Si tu as bien suivi, c'est la petite île satellite d'une île moyenne elle-même satellite d'une grande île, on commence à vraiment sortir du monde normal. Malheureusement ce n'est pas le bon jour et on ne nous permet pas de nous mêler à un bateau scolaire ou autre. Nous retournons donc sur Isla Grande c'est-à-dire l'île principale, direction Castro, la ville principale et la seule qui déborde vraiment de vie, avec un centre ville pas très beau mais plein de trafic et de magasins, ce qui nous surprend un peu puisqu'en 2 jours nous nous sommes déjà habitués à cette délicieuse ambiance traditionnelle de Chiloé. Le seul attrait de Castro réside dans quelques alignements de maisons sur pilotis, très beaux mais limités.




Nous sommes dans une semi-improvisation depuis le début de notre exploration, et il faut maintenant définir la prochaine étape. Le Lonely Planet dit que la ville de Quellon, à la pointe sud de l'île, est un endroit glauque où l'on croise des pêcheurs délabrés et des prostituées, ambiance misérable port de pêche et embarcadère vers le grand sud. C'en est assez pour nous allécher et tenter une expérience culturelle. Les quelques énergumènes ivres morts croisés hier soir nous ont donné envie d'aller plus loin vers "l'authenticité". Nous sommes prêts à faire 150 km aller-retour juste "pour aller voir". Et à notre arrivée à Quellon, grande déception : c'est beaucoup moins sale et glauque que prévu. Pas spécialement beau non plus, encore que le port et la baie soient un appel à prendre le bateau vers l'inconnu, mais pas si laid non plus. C'est vrai que les petits restos locaux font peine à voir, mais la déchéance attendue n'est pas au rendez-vous. Nous nous attablons dans le seul resto correct et même renommé pour sa carte, et à notre grand bonheur entre un pêcheur qui tient à peine debout mais commande quand même deux pintes de bière, pour ne pas perdre le rythme. Son ami sobre ne le décourage pas et lui offre. Nous reprenons la route sans aller voir le panneau qui marque la fin de la célèbre Panaméricaine, et après avoir souffert des nids de poule de l'unique route pavée de l'île, revenons en son centre, au pittoresque petit village de Chonchi. Nous faisons juste un petit tour pour voir, je consulte mes mails pour savoir si j'ai une réponse positive pour le boulot à Pucon, et nous reprenons une route sublime vers la côte ouest et le village de Cucao. L'arrivée face à l'Océan est magique, le village tout petit et fascinant avec ses maisons décrépies en bois, sa petite église en bois face à un terrain de foot où broute un cheval, tout cela au bord d'un lac comme si l'océan ne suffisait pas.




Nous trouvons à nous loger dans un bungalow face à ce lac, accueillis par Miguel Angel, ancien journaliste sportif qui s'est un peu retiré du monde. Coucher de soleil, saumon grillé, et discussion avec Miguel-Angel pour passer une soirée avec la banane et parfaire la délicieuse surprise que nous avons eu à l'arrivée. Pour le lendemain il nous conseille d'aller marcher vers le sud plutôt que dans le Parc National, c'est un peu surprenant mais nous le prenons au mot au petit matin. Après une bonne heure en voiture sur un chemin de terre le long de l'océan, au bord de la plage ou en haut d'une falaise, nous laissons la voiture devant la maison d'une petite famille de pêcheurs qui nous prêtent la clé d'une propriété à traverser. Nous commençons à marcher le long de la plage, absolument émerveillés par la nature sauvage de l'endroit. Puis le chemin nous éloigne légèrement de l'océan et nous emmène vers le haut de la falaise, où nous croisons une ou deux fermes superbement isolées, et un brave pêcheur avec son chien. Faute de trouver le fameux portail qui s'ouvre avec la clé, nous descendons vers l'océan et une sublime plage au loin, accessible après avoir pataugé dans la boue sous les bois. La plage est immense et arrondie, faisant le lien entre deux caps, et léchée par les vagues sauvages du Pacifique. Le pêcheur essaie en vain de sortir un poisson, sous l'oeil patient de son gros chien.




Rien ne mord, il laisse tomber et décide de repartir vers sa maison en haut de la falaise, nous le suivons pour ne rien rater de cette belle rencontre. Il vit là-haut dans sa petite maison avec vue imprenable sur l'océan, avec pour voisins son père et sa soeur. J'en déduis qu'il a passé toute sa vie ici, il a déjà une cinquantaine d'années. Dans une telle isolation il est essentiellement dans l'auto-subsistance. Quand il a besoin d'acheter quelque chose il va à Cucao, c'est presque la grande ville pour lui alors que pour moi c'est un minuscule village très isolé, sur une île elle-même très isolée de la vie moderne. On ne vit pas dans le même monde. Au moment de le quitter il nous indique le chemin que nous voulions prendre initialement, avec la fameuse clé. C'est une deuxième randonnée dans la randonnée qui commence, en direction de la pointe de la falaise. Nous surplombons la splendide plage arrondie à gauche, une autre baie sans fin sur la droite, et en face nous traversons de petites pâtures. Trois hommes sont en train de raser leurs moutons, nous passons un moment avec eux et réussissons à discuter un peu malgré leur accent à couper au couteau (l'accent chilien est déjà difficile, alors dans une zone aussi reculée c'est gratiné).




Nous reprenons la marche et nous finissons par arriver sur la pointe, en haut d'une falaise immense, dans un décor inoubliable encore réhaussé par quelques chevaux sauvages qui s'enfuient à notre arrivée. Nous restons au moins une heure sur la pointe, juste heureux d'être là et d'avoir écouté les conseils de Miguel Angel. Je m'allonge en regardant l'océan, et passe un temps interminable à photographier les mouettes qui jouent avec le vent puissant, faisant du surplace puis partant systématiquement en piqué au bout de quelques secondes. Là juste devant moi. Le contraste entre le vert de la campagne et le bleu de la mer est permanent à Chiloé, mais il paraît encore plus fort ici, magnifié par la puissance de l'océan. Il faut se décider à repartir mais c'est vraiment à contre-coeur. Il y a des jours comme ça où l'on réalise à quel point le voyage peut offrir des jours magiques, surtout quand c'est par surprise parce que ce n'est indiqué dans aucun guide. Juste le bon conseil d'un local qui connaît.




Le lendemain nous quittons la magie de Cucao pour revenir à Chonchi où nous trouvons un logement chez une charmante dame. Ce sera l'unique jour pluvieux en une semaine, nous avons une chance incroyable. Pendant qu'Ariane cuve la soirée de la veille, je ne me résigne pas à ne rien faire et je roule toute l'après-midi pour avoir la vision de Chiloé sous la pluie, la vraie vision en fait. Je me balade à Queilen, un petit village isolé sur une pointe de l'île. Bateaux, pêcheurs, contraste de la mer et des nuages sombres, petite pluie ... toute une ambiance, que j'aime.
Le lendemain nous improvisons une traversée vers la Isla Lemuy, qui nous réserve surprise sur surprise, entre le mini Parc yayanes tenu par un homme charismatique et passionnant, la traversée de petits villages plus pittoresques et isolés que jamais, et la découverte d'un fin bras de terre qui nous amène à une péninsule paradisiaque, peuplée d'un ou deux petits villages. Encore une fois nous sommes sur une partie isolée d'une petite île satellite d'une grande île elle-même isolée. Sentiment de bout du monde, de paradis perdu et bien caché.




Il faut revenir sur la grande île et reprendre la route, de longues heures sur un chemin stabilisé, la voiture qui tremble en permanence, pour arriver à notre dernière étape Quemchi, avec une pause à Tenaun pour remplir encore la mémoire de beauté. Pour cette dernière nuit, à l'ambiance délicieuse de chaque village chilote nous avons ajouté un repas de poisson qui nous laissé un sourire persistent sur le visage. Et le patron nous a tenu le bavoir pendant une heure pour nous montrer sa cuisine et nous raconter son histoire. Il faut dire que son resto est réputé, mais malgré cela il n'a pas pu nous proposer le fameux curanto, la grande spécialité de Chiloé. Seul et unique regret d'une semaine MA-GI-QUE, où d'un paysage à l'autre j'ai eu l'impression d'être en Bretagne, en Irlande, en Nouvelle-Zélande, en Australie. Tout ça dans une petite partie très singulière du Chili.









Le lendemain nous rendons la voiture à Ancud, et prenons le ferry et le bus pour revenir sur le continent et monter à Puerto Varas. Mon chemin se sépare de celui d'Ariane, ça s'est plutôt bien passé à part une petite prise de tête pendant une soirée à Cucao.
J'ai seulement 2 jours à Puerto Varas pour explorer l'essentiel et voir si je fais bien de travailler à Pucon plutôt qu'ici. Il faut dire que Puerto Varas est à l'image de Pucon : une petite ville très touristique, avec son lac, le volcan Osorno enneigé à la forme conique parfaite. Mais en un peu plus beau, avec un centre ville qui ressemble à quelque chose. Difficile de dire en deux jours si je profiterai mieux ici, même si c'est un peu plus mignon. Après une balade superbe et éreintante de 60 km en vélo le long du lac LLanquihue, et un tour au pied du volcan Osorno pour admirer le sublime lac Todos Los Santos et les Saltos de Petrohué, des cascades dans la roche basaltique avec le volcan en arrière-plan, j'ai la preuve que la zone est vraiment impressionnante. Mais j'ai déjà accepté l'offre de Hernan à Pucon, et je ne suis pas sûr de trouver facilement un autre occasion sans visa pour travailler.




Donc direction Pucon et la hosteria ¡école!, pour une toute nouvelle expérience de vie et de travail.


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