samedi 30 avril 2011

Virée dans le Noroeste argentin

Presque un mois que je suis à Salta, Philippe mon patron souhaite que je découvre rapidement les hauts-lieux touristiques de la région, c´est quand même un minimum quand on travaille dans le tourisme. Je ne me fais pas prier et j´ai commencé par une excursion à Cafayate, au sud de Salta, gracieusement offerte par un de nos partenaires.
Superbes roches multi-formes, montagne de couleur rouge, la route emportée la veille par la rivière, et visite d'une bodega. Cafayate est la deuxième ville du vin en Argentine après Mendoza.



Le deuxième intérêt de cette journée est que tous les touristes dans la voiture sont argentins, et que le guide fait un effort exceptionnel pour me parler lentement et distinctement, ce qui me permet de discuter avec tout le monde et débloquer littéralement ma conversation en espagnol dès le lendemain. Il ne manquait pas grand-chose, mais il le fallait.

Dès le lendemain j´attends que la même agence partenaire me propose une place sur d´autres excursions, mais la suite des réjouissances vient sous une forme différente. A 11h je suis au bureau et Philippe me téléphone, me laissant une heure pour faire mon sac et partir en week-end avec lui, son ami de Finlande et sa fille, et sa voiture. J´avoue que je commence par hésiter, malgré la proposition alléchante. Je n´ai pas pour habitude de partir en week-end avec mon patron … Renseignement pris auprès de mes collègues, c´est tout à fait courant dans l´agence, et j´aurais bien tort de refuser un si beau tour entièrement offert. Un grand tour par les lieux phares du NOA (Noroeste argentino) pour admirer les paysages magiques entre Salta et la frontière bolivienne.

Départ de Salta le vendredi à 14h, avec le 4x4 de Philippe. Le 4x4 est une précaution utile en cette saison des pluies. Pour ajouter du piquant à notre virée certaines routes ne seront que des pistes …
En amuse-bouche nous nous arrêtons dans les petits villages aux alentours, tous plus charmants les uns que les autres : la Caldera, Campo Allegre … Nous enchaînons avec un lac et la Ruta de Cornisa, une belle route étroite et sinueuse sur les flancs d'une montagne tapissée d´une forêt luxuriante. C'est une surprise d'être plongé dans le vert, dans cette région minérale dominée par les cactus.

Nous passons rapidement Jujuy, autre grande ville du nord, et entrons dans la Quebrada de Humahuaca. Une quebrada est une vallée plus ou moins encaissée, bordée par des montagnes abruptes et colorées. La région en compte plusieurs et celle-ci est la plus célèbre. Pas de chance il pleut, c´est plutôt rare même en pleine saison des pluies. Les montagnes s´élèvent rapidement et de façon majestueuse, et créent un décor déjà magique, même si le meilleur reste à venir.

Premier arrêt photo au bord de la route pour un beau point de vue sur la quebrada naissante, puis dans le village de Volcan. C´est très pauvre, un peu triste, mais comme de nombreux lieux paumés c´est assez télégénique, dans mes yeux au moins. On trouve aussi un petit marché artisanal dans une belle ancienne gare, les quelques locaux nous regardent faire le tour en mâchant mécaniquement des feuilles de coca, espérant nous vendre une paire de gants ou un pull, sans grande conviction.

On reprend la route et la pluie redouble d´intensité, on ne voit plus grand-chose. On bifurque dans une autre vallée plus encaissée, pour arriver rapidement à Purmamarca, beau petit village blotti au pied de la fameuse Montagne des 7 Couleurs. Toute la richesse géologique des Andes est résumée dans cette petite montagne : différentes couches qui vont de l´orange au vert en passant par le rose et le gris. Un petit miracle de la nature offert à nos yeux.

Un dîner au son de chanteurs folkloriques locaux, et une bonne nuit plus tard, nous voilà levés et le ciel s'est découvert pour mettre en valeur la montagne multicolore. Les nombreux kilomètres déjà parcourus la veille en voiture nous donnent envie de nous dégourdir les jambes et d´apprécier les couleurs de plus près. C'est parti pour une bonne heure de marche autour de la montagne, marche facile et qui permet de défouler aussi le petit doigt sur le déclencheur de l´appareil photo : c´est juste magnifique !


Il faut reprendre la route quand même, nous continuons vers la Cuesta del Lipan, une gorge majestueuse, toujours pleine de couleurs et de formes déchiquetées, qui monte jusqu'au col à 4200 mètres. Dans la voiture personne ne subit les effets des lacets, personne ne ressent trop fort le mal des montagnes, mais on se sent un peu étourdi ou assoupi. Au volant je le sens un peu et je fais en sorte de rester concentré sur chaque lacet. Une fois passés de l'autre côté, le paysage change légèrement, mais toujours splendide. C'est devenu plus lunaire, et on aperçoit au loin, entre deux pics, une tâche blanche : ce sont les Salinas Grandes, un grand lac de sel en plein milieu de l'Altiplano. On se sent de plus en plus loin de la civilisation, une fois sortis de la montagne, la route n'est plus qu'une longue ligne droite, empruntée par quelques gros trucks qui viennent du désert d´Atacama au Chili. La route nous mène au cœur même des salines, elle les traverse même et on pourrait rouler directement sur le sel s'il n'avait plu des litres depuis 2 semaines. De ce fait les couleurs sont encore plus belles, un mélange d´eau bleue et de sel blanc. Avec l'impression de voir des éléments de paysage flotter au loin, comme des mirages, tant l'horizon est inondé par le lac de sel …


Le soleil frappe fort au milieu des Salinas, on ne va pas se plaindre mais on repart sur nos pas, et on bifurque rapidement sur la célèbre Ruta 40. C´est une des plus grandes routes au monde, elle parcourt toute l'Argentine du nord au sud, le long de la cordillère des Andes, de La Quiaca à la frontière bolivienne jusqu´à Cabo Virgenes en Patagonie, juste avant la mythique Terre de Feu. J'ai souvenir de longs voyages en bus dans les plaines infinies et mornes de Patagonie, sur cette Ruta 40 pas toujours pavée, souvent étroite et précaire. Ici c'est presque mieux, c´est une piste de terre en plein milieu de l´Altiplano, le haut plateau andin présent en Argentine, en Bolivie, au Pérou et au Chili.

Après un arrêt en bord de piste, pour prendre un rapide pique-nique sous le soleil de plomb, nous commençons à avaler les kilomètres, dans un décor magique. De chaque côté de la route, proche à l'est et un peu plus lointain à l´ouest, défile un rideau de montagnes colorées, quelquefois enneigées, souvent prises au piège d´un nuage noir qui déverse une pluie soudaine, comme une douche aux limites parfaitement tracées pour notre objectif photo. Les ombres des nuages s'y promènent comme sur un terrain de jeu, soulignant l'alternance de couleurs minérales, la verdure, les dunes, la neige.


L´environnement est assez hostile, et pourtant on aperçoit de temps en temps un petit village blotti au pied de ces montagnes : peu d´eau, peu de moyens de locomotion, ni de télécommunication, un profond dénuement … on se demande ce qui les retient ici, sinon un long héritage qui leur dicte que c'est leur terre.
On croise aussi quelques espèces typiques des Andes : des vigognes très peureuses, les inévitables lamas, les insolites ñandus (petites autruches andines), deux ânes solitaires, quelques vaches.

La piste est droite comme un `i´, mais il y a tellement à voir qu'on ne s´ennuie pas, on s'arrête toutes les 5 minutes pour prendre une nouvelle photo. Nous n´avons pas croisé une seule voiture depuis plus d´une heure, sensation rare pour les citadins occidentaiux que nous sommes. Ce n´est pas le moment de tomber en panne … Eh voilà, j'aurais dû me taire : quelques minutes après avoir constaté que les freins se faisaient bien légers, un méchant bruit se déclare soudain à l´arrière, une fumée et une odeur de cramé se dégagent de la roue arrière droite. Arrêt d´urgence et démontage de la roue pour y voir plus clair … mais aucun de nous quatre ne s'y connaît en mécanique. Une pièce liée aux freins paraît clairement dans une position bizarre. Aucune aide possible, pas de signal pour appeler quiconque ou se faire dépanner, et nous sommes à 50 km de la première route goudronnée, avec peu de réserves d´eau. Nous replaçons la roue et repartons à 20km/h, ça paraît tenir le coup. Par chance nous tombons sur un engin des travaux publics, et deux vieux bonhommes, usés par la dure vie et le soleil, travaillant pendant 15 jours sur la route, dormant dans leur caravane sortie tout droit de Mad Max. Ils disent ne rien y connaître mais ils ont des outils et proposent de nous aider. Démontage de la roue et du disque … le frein nous tombe dans les mains, en plusieurs morceaux ! Le vieux mécano ne partage pas notre effarement, et nous propose simplement d'enlever tout ce qui reste des freins pour replacer la roue. Dans ce genre de lieu hostile, qui ne pardonne rien, l'entraide est automatique.

Après avoir remercié verbalement et financièrement les vieux mécanos, nous repartons sans frein à main et avec le frein à pied réduit de moitié. Pour l'instant c'est plat, aucun problème, on verra dans 1 heure lorsque l'on reprendra la route de la quebrada. Pour l'instant nous sommes rassurés, et nous pouvons à nouveau admirer l'altiplano et l'orage en face qui offre un fantastique contraste de couleurs.


Nous finissons par rejoindre le monde « civilisé » par la Ruta 9, et la redescendons vers le sud. Les petites péripéties nous obligent à être moins gourmands sur le programme, nous n'irons pas jusqu´aux petits villages à la frontière bolivienne. Mais on ne se plaint pas, ce qui est à venir suffit à nous faire saliver. Le jour tombe mais on profite encore d´une belle route sinueuse, au milieu des montagnes striées par les couches minérales de différentes couleurs.

Un rapide arrêt à Humahuaca, la petite ville qui a donné son nom à la Quebrada. Une belle petite place, des ruelles pleines de charme bordées de petites maisons coloniales sans étage, des montagnes rouges aux alentours, et une ambiance très routarde, en font une étape très prisée pour dormir, mais nous décidons de pousser plus loin avant de trouver un lit. Après avoir traversé le tropique du Capricorne, signalé très modestement par un panneau, nous cherchons laborieusement un hôtel réputé et tenu par un niçois, mais le chemin défoncé, et l´obligation de traverser la rivière gonflée par les dernières pluies, nous découragent malgré le 4x4.
Nous poursuivons jusqu'à Tilcara et terminons cette longue journée, la tête pleine de beaux paysages, le visage rougi par le soleil, et le ventre plein d'un bon bife de lomo. Nous avons pris un hôtel confortable pour assurer une nuit reconstructrice à Emilia qui souffre du mal de l´altitude. Nous ne sommes plus qu´à 2400m, mais nous avons passé une grande partie de la journée entre 3500m et 4200m, et forcément certains organismes réagissent mal. Je ne fais pas le malin, j'ai des souvenirs de moments difficiles dans cette même région et au Pérou en 2009, alors que j´étais acclimaté …

Le lendemain s'annonce radieux, le ciel est presque bleu et tout le monde est en forme. Après un énorme petit-déjeuner, une petite marche s´impose vers Pukara, le site inca de Tilcara. Le site est magnifiquement reconstitué, essentiellement de simples maisons incas au milieu d´un champ de cactus et une pyramide, avec toujours une vue imprenable sur la quebrada et les montagnes multicolores tout autour. On enchaîne avec une deuxième balade à pied vers la Garganta del Diablo. Nous avons résisté à la possibilité de monter à pied, le souffle est un peu court mais on passe son temps à se retourner pour regarder la vallée et ses couleurs. La gorge du diable est moins impressionnante que toutes les autres en Amérique du Sud (on ne les compte plus) mais c'est une belle balade. De retour en bas, nous faisons un saut dans la belle ville de Tilcara, avec son marché artisanal sur la belle place centrale, ses ruelles, ses maisons coloniales. Il y a un beau musée archéologique, qui présente de nombreux objets incas. Malheureusement la momie qui était exposée a été enlevée, par respect pour les croyances encore fortes des indigènes. Pour rester scotchés devant une momie d´enfant inca, il nous restera encore le muséee MAAM à Salta.


On engloutit quelques spécialités argentines (humitas, tamales, empanadas, et l´incontournable viande), et on reprend la route pour rentrer tranquillement vers Salta. Il reste encore une réjouissance visuelle, « la palette des peintres » à Maymara. Là encore c'est le résultat de la richesse géologique locale, et c'est juste sublime. Différentes couleurs qui tracent des courbes et dessinent des palettes de peintre géantes et juxtaposées. Un petit cimetière typique en premier plan vient parfaire la photo.
Le programme touche à sa fin, nous parcourons la quebrada dans l'autre sens, toujours avec les freins au minimum mais c´est devenu le dernier de nos soucis. Retour tranquille vers Salta, en réfléchissant déjà à la prochaine virée … le choix est vraiment difficile.